Les DNA du 10/02:
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Qu'avons-nous à gagner ?
Lors des vœux de Mulhouse Alsace Agglomération (M2A), les élus de la cité du Bollwerk, Jean-Marie Bockel et Jean Rottner, ont invité les élus des secteurs voisins à se joindre à eux. Si la perspective d’une grande agglomération plus puissante pour discuter avec les voisins allemand et suisse peut présenter un intérêt, Roland Igersheim n’envisage pas cette opportunité aujourd’hui.
Un peu plus d’une semaine après l’appel du pied des élus mulhousiens, le président de la ComCom des Trois Frontières se dit avoir été le premier étonné.
Dernières Nouvelles d’Alsace : Comment avez-vous vécu cet appel du pied des élus de M2A ?
Roland Igersheim : Je l’ai découvert dans la presse. Pourtant, je connais Jean Rottner et Jean-Marie Bockel et nous avons de très bonnes relations. J’aurais apprécié qu’ils m’informent avant d’évoquer ce sujet en public. J’ai été surpris.
DNA : L’idée est-elle pour autant tellement étonnante ?
R.I. : Non, ce qui m’a surpris, c’est l’annonce soudaine et sans concertation, ce n’est pas que nos amis mulhousiens aient cette envie. Il ne faut pas se voiler la face : la plus grande ville du Haut-Rhin souhaiterait profiter du dynamisme économique de l’aéroport. L’EuroAirport, c’est le moteur économique essentiel du Haut-Rhin. Avec un potentiel de développement très important pour les années à venir. Je comprends bien que l’agglomération mulhousienne soit intéressée par ce pôle. Mais ça ne peut se faire ainsi.
DNA : L’idée serait celle d’un mariage, avec la ComCom des Trois Frontières dans le rôle de la mariée et l’aéroport en guise de dot ? Mais qu’apporterait le marié ?
R.I. : C’est bien là la question ! Actuellement, je ne vois pas forcément ce que nous, ici, au sein de notre ComCom, nous aurions à y gagner. Peut-être du poids face à nos interlocuteurs suisses et allemands. Quand Bâle discutera avec une agglomération de plus de 300000 habitants, le rapport de force ne sera pas le même qu’avec une ComCom de 55 000 habitants… Mais même là, nous avons réussi au fil du temps à nouer une relation apaisée et constructive avec nos amis de Bâle et d’Allemagne : se greffer à une agglomération mulhousienne viendrait déstabiliser l’équilibre actuel… Non, je ne vois pas réellement ce que nous aurions à y gagner.
DNA : Et ce mariage, s’il devait intervenir, induirait des chamboulements en terme de compétences…
R.I. : Et ce n’est pas là le moindre des écueils ! M2A dispose de compétences que nous n’avons pas au sein de la ComCom. Et l’inverse est vrai également. Il faudrait harmoniser tout cela. C’est une tâche très complexe. Par exemple, il faudrait mettre en place une fiscalité harmonisée. Or, au sein de la CC3F, nous avons réussi à fonder notre intercommunalité sur l’autonomie des communes et le droit pour chacun de ne jamais se voir imposé de projet de ses partenaires. Même si nous avons l’unanimité moins la commune concernée, nous avons toujours refusé d’implanter un équipement sur une commune qui ne le souhaitait pas. Mais ce qui est valable dans une ComCom à dix communes et 55 000 habitants le serait-il dans une agglomération à 60 communes et 300000 habitants ?
DNA : Ce qui pose également le problème de la représentativité et de l’autonomie décisionnelle…
R.I. : Exactement ! Aujourd’hui, nous avons à dix une réactivité et une possibilité de décision très agréable. Entre élus, nous nous connaissons tous très bien et notre travail est facilité par la proximité. Si nous devions cohabiter demain avec des élus du bassin potassique ou de la couronne mulhousienne, sans mettre en cause leur compétence ou leur ouverture, les relations ne seraient pas aussi faciles. Leurs problématiques ne sont pas les nôtres, leurs priorités ne sont pas les nôtres…
DNA : Voir Mulhouse s’intéresser ainsi au secteur de Saint-Louis, 3 e ville du Haut-Rhin, est-ce que ça ne révèle pas la disproportion entre l’importance économique de Saint-Louis et sa faiblesse administrative ?
R.I. : Il est vrai que Saint-Louis a grandi très vite aux XIX e et XX e siècles. Grâce au train, à l’aéroport, à la proximité de Bâle, la ville a dépassé les 20 000 habitants et les 55 000 avec les communes voisines. Grâce à l’EuroAirport et grâce à l’industrie chimique et pharmaceutique, ce secteur est également un géant économique. Mais la 3 e ville du département n’a même pas de sous-préfecture. Et au vu de la tendance actuelle, je n’imagine pas qu’on puisse en créer une ici prochainement. C’est un handicap pour faire entendre sa voix.
DNA : Quelles seraient les solutions pour peser davantage ?
R.I. : Nous avons plusieurs pistes. Avec notre population supérieure à 50 000 habitants, nous pourrions déjà passer de communauté de communes à communauté d’agglomération. Sans changer de périmètre. Cette possibilité avait été étudiée voici trois ou quatre ans, mais cela supposait alors d’harmoniser nos taxes professionnelles. Or, nous avions des situations très variées dans le périmètre de la CC3F et nous avons souhaité conserver notre autonomie fiscale. Désormais, la taxe professionnelle a disparu. La donne a changé. Une autre solution serait d’envisager une communauté d’agglomération ouverte à nos voisins des ComCom de la Porte du Sundgau et du Pays de Sierentz. Mais il faudrait déjà deux choses : que ces collectivités le souhaitent, et que cela se fasse progressivement, sans mettre la charrue avant les bœufs. Il existe déjà des collaborations, comme ces communes de la ComCom de la Porte du Sundgau raccordées à notre station d’épuration. Mais d’autres points posent problème et nous en revenons aux compétences. La ComCom de la Porte du Sundgau a la compétence « petite enfance », que nous avons laissée, au sein de la CC3F aux communes. Si nous devions l’intégrer à l’intercommunalité, cela ferait exploser nos budgets. Ce qui exploserait aussi, ce sont les taxes locales dans les communes de la Porte du Sundgau si nous formions demain une communauté d’agglomération à fiscalité harmonisée. leurs taux sont très bas par rapport aux nôtres et il nous serait impossible de les réduire. Je ne pense pas qu’ils souhaitent les augmenter. Du coup, je suis davantage favorable à des collaborations thématiques, afin de multiplier les convergences. Et lorsque ces convergences seront suffisantes, il sera temps de passer à la phase d’harmonisation des structures. Nous pourrions travailler de même avec le Pays de Sierentz, en collaborant sur des dossiers avant de mettre en place une communauté d’agglomération.
DNA : Réunir ces trois intercommunalités autour de Saint-Louis, quel sens cela aurait-il ?
R.I. : Cela aurait déjà une cohérence. Dans le périmètre actuel du Pays de Saint-Louis et des Trois Frontières, nous travaillons très bien ensemble. Nous représentons un bassin de vie cohérent, qui constitue la partie française de l’agglomération trinationale de Bâle. D’un point de vue sociologique, il y a une cohérence entre les populations des trois ComCom. D’ici la fin du mandat, c’est dans cette direction que nous allons travailler, en proposant à nos partenaires de travailler ensemble sur des projets concrets avant d’imaginer de nous réunir sous une même structure. Mulhouse dans tout ça ? Je ne ferme pas la porte. Messieurs Bockel et Rottner peuvent m’appeler. Mais aucun élu de la CC3F n’est actuellement favorable à une intégration à M2A. Dans un avenir plus lointain pourquoi pas, mais pas aujourd’hui.