Courrier des lecteurs
Place du Château : « scandaleux »
De Thierry Ley, professeur d’histoire, habitant d’Illkirch-Graffenstaden :
« Le projet de réaménagement de la place du Château est scandaleux et doit être en l’état rejeté avec la plus forte opposition possible. Il semblerait que la leçon des réaménagements précédemment menés, que ce soit celui de la place Kléber ou celui de la place de la Gare, n’ait pas été retenue. Ces aménagements qui se veulent à la pointe de l’air du temps et qui sont fondés sur une minéralisation à outrance du sol suscitent encore maintenant des controverses, à tel point que ces espaces sont régulièrement retoilettés, en gros au rythme de chaque alternance municipale. Notre système de financement de la chose publique court à la banqueroute et il serait bienvenu d’envoyer à nos concitoyens des signes de bonne gestion des deniers publics en montrant que le temps des dépenses faciles et inconsidérées est terminé.
Mais le scandale le plus irrémédiable est patrimonial et symbolique. L’actuelle place du Château (fort judicieusement débarrassée de ses voitures) est un écrin précieux pour la cathédrale. Au Moyen Âge les cathédrales étaient enchâssées dans le tissu urbain et les édifices venaient jusqu’à se coller à elles ; leur élancement devant surgir de cette masse pour pointer vers le ciel. Une cathédrale, vécue à hauteur d’Homme, cela se découvre, presque par hasard et doit vous sauter au visage ; tous les sens sont sollicités pour susciter l’émotion face à cette puissance surgie au gré d’un cheminement.
Jusqu’à présent la cathédrale strasbourgeoise est restée dans cet état d’esprit, à la différence de Notre-Dame de Paris dont l’immense parvis dégagé sous Haussmann a fait perdre à l’édifice une part de son âme. À la différence également d’un certain nombre de cathédrales allemandes dont le pourtour a été rasé par des bombardements. Les arbres actuels de la place du Château, avec leur physionomie contrastée au fil des saisons participent de cette philosophie et aussi, osons le dire, de la poésie du lieu.
Il est donc inenvisageable pour tout Strasbourgeois et esthète qui se respecte de céder face aux délires de ces cabinets d’architecte commandités par des élus souhaitant marquer leur temps.
Les deux parties sont responsables ; les élus d’avoir seulement imaginé arriver à une telle solution et les architectes d’avoir voulu faire plaisir au client et d’avoir foncé à fond dans un délire sans âme à grands coups d’infographie et de belles idées délirantes : idée du nombre d’or, lampadaires rappelant les pinacles de la flèche, bancs orientés pour varier les angles de vue, etc. Apparemment on attrape encore les mouches avec du vinaigre. Nous ne devons pas céder à cette espèce de Disneylandisation du paysage, à ce besoin d’anticiper des photos ‘‘réussies’’ (parce qu’enfin dégagées de tout obstacle visuel) par les touristes qui n’en demandent pas tant.
Sachons être du XXI e siècle, ne cédons pas à toutes les sirènes de la nostalgie, mais si nous voulons vivre en prétextant un respect du patrimoine, sachons également le respecter. »
La pierre et… les vivants
De Arnaud Lehmann, de Strasbourg :
« Le projet de réaménagement de la place du Château a été dévoilé. Quelle surprise de découvrir un lieu minéralisé, dépouillé de toute végétation. Non, que dis-je, le projet nous fait l’aumône de deux arbres ! Encore nous fait-on grâce de l’implantation de spécimens d’une « certaine envergure », pas dit que deux bonsaïs feraient une grande différence sur ces dimensions.
Nous avons aujourd’hui besoin d’espaces qui invitent à la rencontre. On nous parle d’harmonie, d’un principe de composition basé sur l’utilisation du nombre d’or, de lignes qui se croisent… Mais où est pris en compte l’être humain dans cet ensemble ? Sommes-nous une pièce rapportée, un élément polluant d’une surface rendue aux édifices l’enserrant ?
Une rhétorique stylistique qui se pose au vu du résultat. On nous installe une zone à l’esprit minimaliste, dotée de quelques socles pour que le passant puisse s’asseoir et contempler nos monuments à l’ombre d’une défunte végétation.
Notre cathédrale, « Prodige du gigantesque et du délicat » selon Victor Hugo, ne mérite-t-elle pas mieux que de voir s’étaler à ses pieds un espace froid, un lieu où l’homme n’est nullement invité à l’échange ? Nos places doivent retrouver un rôle d’agora, ne les abandonnons pas à une muséification stérile.
Autre étonnement, certaines vues nous la montrent incluant une terrasse pour un café. Un petit bout de la zone rendu à la vie de tous les jours ! Petit hic, selon notre maire, ce type d’implantation ne peut se réaliser qu’au niveau du bâtiment de la poste et il n’y a pas de projet de ce type pour le moment… Case départ, retour à une plate-forme laissée aux seuls regards de nos monuments.
Il est vrai que la municipalité n’est pas seule responsable de ce projet, l’architecte des Bâtiments de France impose un espace dégagé, soit. Mais il est le défenseur de la pierre, là où la municipalité se doit de se faire porte-parole des vivants. Le pouvoir politique doit se battre pour rendre aux Strasbourgeois ce qui appartient aux Strasbourgeois. »
Des déceptions
de place en place…
De Jean-Georges Sieffert, de Strasbourg :
« Mesdames et Messieurs les décisionnaires, urbanistes, paysagistes (?) et autres experts (?), que vous ont donc fait les Strasbourgeois pour que le réaménagement des (trop) rares places de la ville se traduise aussi souvent par un abattage de tout ou partie des arbres existants au profit de revêtements minéraux qui ne feront que le bonheur des herbes non désirées (je préfère cette dénomination à herbes folles ou mauvaises herbes) ?
Pour la place du Marché à Neudorf, les habitants ont pu découvrir en juin le projet minéral 1 et le projet minéral 2 : on admire la diversité des possibilités ! La place du Château est actuellement bordée d’arbres sur ses quatre côtés : de ces pauvres malheureux, il ne restera bientôt presque plus rien sinon leur souvenir. Mais on nous a promis un beau revêtement minéral, et aussi le déplacement (où ?) de la station du petit train touristique : voilà qui va donner un sacré coup d’oxygène aux Strasbourgeois !
Devant ce désastre organisé, on se demande où sont passés les soi-disant « Verts » (« gris » serait sans doute une couleur plus appropriée) si prompts à combattre l’engouement et la liesse populaire ! »
http://www.dna.fr/fr/strasbourg/info/58 ... hierry-Ley